Nous sommes à la fin des années 60, John Woolfe est un gentleman-driver, un bon gentleman-driver, avec un bon coup de volant et de belles expériences, dans de belles autos, depuis 10 ans. On lui liste entre autres des Jaguar Type C, Lola MK1, Shelby Cobra, Chevron B12 ou encore Lola T70 MK3 et Ford GT40. Voyez, un bon gentleman-driver.
De part son éducation de fils à papa, John Woolfe est resté très capricieux. Riche, très riche, par filiation, par les affaires, comme par mariage, il joue le dimanche au pilote de course et devient dès le début d’année 1969 le premier propriétaire privé d’une Porsche 917, quelques semaines après sa révélation du 12 mars 1969 au Salon de Genève. Considérée comme étant l’arme parfaite pour Le Mans, il l’achète avec son partenaire commercial Arnold Burton, avec qui il dirige John Woolfe Racing, structure spécialisée dans les pièces automobiles hautes performances.

Rendez-vous au Mans
1969, la Porsche 917 est alors débutante au Mans. Elle n’a que quelques mois de roulage, et tous les pilotes Porsche s’accordent à dire qu’elle est difficile à piloter, particulièrement sur les circuits rapides. Certains pilotes refusent même d’en prendre le volant. Nous sommes aux 24 heures du Mans et Porsche System Engineering dépêche trois de ses nouvelles 917 LH, pour ses trois duos maison que sont Elford / Attwood, Stommelen / Ahrens, Jr. et Linge / Redman / Lins.
Propriétaire de cette nouvelle 917 tout neuve, Woolfe souhaite disputer Le Mans avec sa nouvelle acquisition, bien qu’il ait été engagé dans un premier temps sur sa McLaren M6 GT et qu’il a emmené sa Lola T70 au Mans. Cette dernière restera dans le paddock.
Livrée neuve blanche immaculée entre les essais et la course, la belle Porsche 917 est parée de ses couleurs de guerre, habituelle à celles du John Woolfe Racing : fond blanc, lignes horizontales bleues et jaunes parcourant l’intégralité du sommet de la caisse.

Porsche à la rescousse
Assisté du pilote britannique Digby Martland, John Woolfe prend part aux essais, qui se déroule avec quelques encombres moteur pour notre propriétaire. La mécanique 12 cylindres tourne souvent sur 11 cylindres et c’est un surrégime qui conclut l’essai. Le moteur est alors changé par Porsche.
Ayant pris le volant avant lui, Martland, ne sent pas la 917. Après seulement deux tours, il heurte une barrière à Mulsanne. Si la figure se fait à grande vitesse, les dégâts sont légers mais l’incident est révélateur : sagement, Martland se retire de l’équipage, admettant que la 917 était trop difficile pour lui.
Porsche, qui veut la victoire au Mans, vient une nouvelle fois à la rescousse. L’équipe met alors deux coéquipiers de luxe pour son client : Herbert Linge comme pilote en course (il était prévu comme pilote de réserve sur la 917 n°15) et Rolf Stommelen en qualification. Ce dernier classe la belle Porsche n°10 en neuvième position. Poussé par cette position sur la grille, son égo et sa passion, et contrairement à l’avis de Porsche qui souhaitait que Linge gère le départ et le premier relai, John Woolfe décide de prendre le départ de cette trente-septième édition des 24 heures du Mans.

Départ et premier tour
Le départ est donné, John Woolfe court vers sa Porsche, s’y glisse, ferme rapidement la porte en fibre de verre et démarre, sans boucler sa ceinture de sécurité. Il espère ainsi gagner du temps, avec l’espoir de passer un ou deux concurrents Comme il est coutume (oui oui…) avec ce départ en épi, il bouclera sa ceinture plus tard, comme bon nombre de pilotes.

John Woolfe dispute ce premier tour à un rythme élevé, voire agressif selon les observateurs de l’époque. Neuvième sur la grille, il profite du départ façon Le Mans pour grappiller quelques places, puis porté par le rythme des pilotes professionnels, hausse le ton, comme s’il voulait prendre la tête de la course. Les Ford, Porsche, Matra et autres Ferrari entourent notre gentleman. On imagine tout. L’ambiance, le bruit, les échappements crachant leurs gaz brûlants.
A l’approche des virages de Maison Blanche, le Britannique mord dans l’herbe. A plus de 240km/h, la 917 est déséquilibrée et part en glisse. Woolfe ne peut rien faire : le choc est violent, la Porsche heurte le talus, se retourne sur la piste et se brise, tout en prenant feu. Dans le choc, John Woolfe, non harnaché comme on l’a vu, est éjecté de sa voiture…
Si proche du départ, les réservoirs sont pleins de carburant. Dans le choc, une multitude de pièces ont volé en éclat. Le tout prend rapidement feu. Le châssis en magnésium hyper inflammable est comme du petit bois en plein été varois. Toute l’enfilade de Maison Blanche est parsemée d’éléments en feu. Une colonne de fumée se créé au dessus de Maison Blanche.
La Porsche flanquée du loup de “Woolfe” pour “wolf” se disloque. La Ferrari 312P de Chris Amon vient heurter le réservoir plein de la 917, lui même éjecté lors du choc. C’est le chaos à Maison Blanche. La Ferrari prend feu à son tour, encore lancée à pleine vitesse. Alors que la Ferrari roule encore, le Néo-Zélandais s’en éjecte et s’en sort avec de légères brûlures. La course continue, le Britannique est pris en charge par les secours et est évacué. Il décède dans l’hélicoptère qui l’emmène à l’hôpital… Son rêve de briller au Mans l’aura perdu.

Jacky Ickx avait raison
La mort de John Woolfe aura permis une chose : les départs type “Le Mans” sont dorénavant proscris. En effet, jusqu’à cette édition funeste, les pilotes couraient vers leurs voitures, montaient dans leurs autos et partaient, prenant le départ en épi. Pour gagner quelques secondes et être bien placés dès le premier tour, bien des pilotes partaient alors sans ceinture de sécurité, la bouclant ainsi lors du premier tour, ou plus tard.
Un pilote allait se lever contre cette tradition : Jacky Ickx. Cette année-là, alors que tous les pilotes couraient vers leurs voitures, le Belge marchait vers sa Ford GT 40, protestant ainsi contre ce type de départ qu’il trouvait dangereux. La preuve que ce départ n’était que du show, le Belge allait remporter cette trente-septième édition des 24 heures du Mans.
Lui donnant raison, l’ACO allait interdire les départs en épi de sa classique mancelle, donnant les départs en peloton lancé dès 1971. Un type de départ toujours en vigueur de nos jours aux 24 heures du Mans. En 1970, le départ en épi allait être donné, avec cette fois, pilotes casqués et harnachés dans leurs voitures.
RIP John Whoolfe, sans doute trop passionné…
A très bientôt,
Jean-Charles
En complément :
– La Porsche 917 n°10 des 24 hereus du Mans 1969
– La Ferrari 312P n°19 des 24 heures du Mans 1969
– VIN: the John Woolfe Porsche 917 chassis 005
En images
Avant et durant les essais des 24 heures du Mans, la Porsche 917 châssis numéro 10 est blanche, vierge de tous sponsors, de tout déco. Subsiste juste le logo Shell, alors partenaire de l’équipe Porsche.


Avant le départ et au départ des 24 Heures du Mans…














Après le crash…

