1953, AGIP devient ENI, passant d’une “agence” nationale du pétrole à une “autorité” plus complète qui n’est ni plus ni moins qu’une entreprise publique. Créée sous le régime fasciste de Benito Mussolini, l’agence Agip est un peu encombrante après guerre : elle est démantelée. Bonjour Eni !
Le responsable de cette mutation est Enrico Mattei, qui devient dirigeant de la nouvelle “Ente Nazionale Idrocarburi”, ENI en 1951. Dès lors, il va faire de cette entreprise nationale un véritable mastodonte de l’industrie italienne, un des plus grands groupes pétroliers au monde.
Dans sa stratégie dédiée à ENI, Enrico Mattei bouleverse le monde des affaires pétrolières, venant concurrencer les plus grands groupes de l’époque. Il ouvre de nouvelles voies d’acheminement du pétrole vers l’Italie, crée de nouvelles relations commerciales et redynamise la marque, lui créant une véritable image moderne. Sur le terrain, la marque Supercortemaggiore est lancée (lire l’histoire de Supercortemaggiore), accompagnée d’un nouveau logo pour ENI, celui du chien noir à six pattes, sur fond jaune. Un logo qui perdure toujours aujourd’hui.

L’architecture au premier rang
En Italie, avant une application au monde entier, la stratégie va plus loin et Mattei s’occupe particulièrement du commerce, de la distribution des carburants, de la formation du personnel commercial. Le commerce doit changer pour le dirigeant italien. Pour se faire, il fait appel à des architectes, dont le renommé Mario Bachiocci. La mission des architectes sera simple : par l’architecture, à eux de concevoir des stations service reconnaissables entre mille. Treize formats sortiront des planches à dessin.
Il ne s’agit pas d’un coup d’essai pour la paire Mattei/Bachiocci. En effet, plus tôt dans les années 50, Enrico Mattei met en les mains de Bachiocci la création d’une cité, de toutes pièces. C’est ainsi que Metanopoli, non loin de Milan, une cité dédiée aux ouvriers de ENI et à leurs familles.
Suite à cette inédite cité du méthane (et autres gaz et hydrocarbures), le programme des stations service est le second grand projet de Bachiocci en lien avec ENI. L’architecte italien crée ainsi des stations facilement identifiables. Le design est de fort, osé, mêlant des statiques fortes aux surfaces vitrées, des préaux très proéminents et des parois très rectilignes. Du côté des matériaux, l’Italien utilise le béton armé, la brique, le verre.
Ci dessous, les esquisses de projets de l’époque sont très proches des réalisations finales.









Architectures choisies et services dédiés
Les stations service créées par Mario Bachiocci sont établies sur plusieurs niveaux d’équipements. Nous commençons par une simple kiosque avec pompes et petite vitrine, pour ensuite passer à la boutique, au garage, aux services techniques complémentaires, aux bars, aux restaurants pour finir, cerise sur la gâteau au complexe complet, mêlant station service, garage et motels, grand luxe ! Et parfois même un motel seul, appelé MotelAgip.
Plus grande est la station, plus nombreux sont les services proposés. Et partout, une signalétique reconnaissable, que vous soyez au nord ou au sud de l’Italie, et un style à part entière, mêlant béton armé et néons. La plus célèbre et significative station service réalisée par Mario Bachiocci est à n’en pas douter la station service AGIP de la Piazzale Accursio, à Milan (lire Milano et l’emblématique station service AGIP de la Piazzale Accursio). Véritable chef d’œuvre d’architecture du milieu du XXème siècle.
Aujourd’hui encore, des kiosques et stations de l’époque subsistent encore en Italie et à travers le monde.
Ci dessous, une sélection des stations service les plus marquantes, allant du simple kiosque au complexe hôtelier complet, avec garage et restaurant. Un article complet dédié aux hôtels MotelAgip est prévu.

















L’expérience client en plus
Mais l’expérience client créée par le duo Mattei/Bachiocci va beaucoup plus loin. En effet, le service client est une des pierres angulaires du projet. Dans les stations service de la marque, on retrouve alors des restaurants, des salles d’attente, de repos, des comptoirs où prendre un café. On ne vient plus juste faire le plein, une équipe fait le plein et les niveaux de la voiture quand vous passez un petit moment en ne pensant qu’à vous.
Ces stations deviennent de véritables points d’arrêt plutôt que des points de passage, où les clients sont accueillis et… consomment, avec une véritable approche client pour le personnel. Pour cela, un centre de formation est créé au sein de l’entreprise, à Milan, où les équipes de pompistes, caissiers, baristas et autres mécaniciens ou serveurs sont formés. A cela, un uniforme est créé pour les personnels, d’un beau bleu. Tailleurs pour ces dames, bleus de travail pour ces messieurs. Appréciez ces clichés, tout droit sortis des années 50…








Toute cette stratégie alliant architecture et personnel est un réel bouleversement dans le milieu des pétroliers, si bien que ce format de station-service connaît rapidement un succès retentissant. Aujourd’hui encore, en Italie, il est possible de se faire servir à la pompe, moyennant un prix un peu plus élevé au litre, et où le pompiste est encore et toujours en uniforme, et ce, peu importe la marque du pétrolier. Un service fort appréciable, je l’avoue. A côté des pompes, trône très souvent la boutique de la station, où en plus de payer votre plein de super, vous pourrez toujours acheter des cigarettes, crackers, des gressins, de l’huile d’olive locale… et prendre un petit café au comptoir, mon pêché mignon quand je prends la route en Italie.
On se rend compte ainsi qu’aujourd’hui encore, 70 ans après le lancement de ce programme architectural, Enrico Mattei est présent dans le quotidien des Italiens. Car ils sont bien nombreux à s’arrêter en station faire quelques courses rapides sans même faire le plein. Visionnaire, Enrico Mattei a créé une nouvelle forme de commerce dans les murs de ses stations essence.
Buona giornata !
Jean-Charles
Magnifique l’architecture de ces stations…