Ressortir la DS de Papa
C’est un moment particulier qui se répète chaque année. On ressort la DS de Papa. Ouvrir le garage délicatement, prendre son temps. La serrure de la grande porte bloque un peu, elle sort de quelques mois de sommeil. Quelques mois, le temps de faire dormir notre grand-mère, notre DS 21 INJECTION ÉLECTRONIQUE, de la protéger des intempéries, des vents, de la pluie, de la neige et du sel répandu sur les routes, qui répandrait à son tour la rouille sur une carrosserie déjà bien âgée de bientôt 50 ans. Si pour vous et moi, comme bel humain 50 ans est un beau cap passé, pour une voiture ancienne, c’est un cap important. On la préserve donc, notre DS.
La porte est ouverte dans un vacarme métallique assourdissant, fendant les tympans le temps d’un instant. Du fond du garage, elle se montre, sous sa bâche. Sa forme est reconnaissable entre toutes, comme une grenouille étirée, notre DS. La bâche est retirée, elle se découvre, chromes brillants, dans un bleu turquoise impeccable, un lagon.

On ouvre le capot, vérifions quelques niveaux et pressions. Rien a bougé depuis la fin de l’automne, on peut y aller. Le démarreur s’étouffe un premier coup puis le second coup est le bon, dame DS se met en route. Son système hydropneumatique se remet en circulation, tel le cœur d’un corps humain, insufflant un rythme, une vie dans cette DS. La voilà qui monte de l’arrière, puis qui monte de l’avant. En une petite minute, elle est prête à partir.
Derrière le volant, le levier de vitesse particulier, donnant sur la boîte semi-automatique, qui permet aussi de démarrer la belle. Première, petit claquement, le régime moteur change doucement, on lâche délicatement le champignon qui sert de frein, on effleure tendrement l’accélérateur. DS se meut, avance doucement, elle est partie, et nous avec, emmenés dans ce vaisseau fier et fort, puissant et terriblement en avance sur son temps, terriblement décalé dans notre époque. Elle est tout bonnement incroyable.
Et nous prenons la route. Clignotant à droite, direction la campagne. Nous fuyons la circulation dense pour nos premiers nouveaux kilomètres de l’année au volant de la DS 21 à la teinte référence “AC 635 Bleu Camargue”.
La DS est une voiture particulière. Il faut du temps pour reprendre nos habitudes. Les premiers kilomètres sont un peu lents, tant elle demande du temps, de la délicatesse dans nos gestes, de la coordination entre nos mains et nos pieds. Une concentration bien plus élevée qu’au volant d’une voiture moderne en boîte mécanique. Tout d’abord car dame DS 21 est ancienne et qu’on en prend soin. Puis car elle n’a pas un format tout à fait normal. Oui. Elle est large, incroyablement large de l’avant. Le tout en vue plongeante, avec son long capot et ses ailes infinies. On a besoin de temps pour pour savoir où mettre les roues. Et quand je vous dis que l’arrière est plus étroit que l’avant, cela vous donne la mesure de la complication. Si l’avant passe, l’arrière passera vous me direz. C’est vrai. nous ferons attention tout de même.

Une fois les habitudes reprises, quelques kilomètres sur autoroute aussi pour reprendre la mesure de la belle, cette première balade l’année se fait sous les premiers rayons de soleil du printemps. Les 10 kilomètres autorisés ? A la corbeille à papier qu’on les met. On fait des bornes, on prend notre temps et on prend du plaisir. On discute, on rigole, le masque sur le nez. On ne déconne pas tout de même. On fait aussi attention à elle, notre DS familiale, la DS de Papa. Les rapports sont passés doucement, il faut reprendre nos habitudes de cette voiture hors du commun. Rarement je prends tant mon temps à passer une vitesse, tout est découpé, les gestes précis. Puis ces gestes viennent comme les kilomètre sont avalés. Un plaisir incroyable est pris dans ce voyage au volant d’une des voitures les plus emblématiques du siècle.
C’est une chance que j’ai, que nous avons d’être à son bord pour ce petit voyage dominical. La volupté, la douceur sont là au volant et l’assise est incroyablement confortable, même si résolument antiques en comparaison à nos équipements modernes. Dans un parfum de cuir vieilli, quelques détails modernes sont d’ailleurs là. Un support de téléphone, un chargeur. Car oui, la doctrine paternelle est claire : la voiture doit partir pour toute distance à tout moment. C’est un leitmotiv, au point de partir en vacances en voiture ancienne de temps à autres, sur la Nationale 6, la Nationale 7 et toutes les nationales et départementales de notre beau pays. Et tout cela se fait dans une patine incroyable, dans le respect des machines, de leurs âges, avec un entretien irréprochable, des suivis par des spécialistes, des heures passées sous la capot, à finir les mains pleines de cambouis.
Il faut bien de cela pour ses chromes puissent aller se balader sans souci, sans crainte de la panne, l’esprit libre d’un dimanche matin lumineux. J’ai rendu les clés à Papa, et vivement la prochaine fois.
Et la serrure de la grande porte bloque toujours un peu.
Jean-Charles
Détails, Citroën DS 21 injection électronique 1972
DS 21 et DS 9
A la suite de cet essai, et sans lien direct d’ailleurs, j’ai pu prendre le volant de DS 9. Je vous invite à retrouver cet essai, et d’autres aussi, dans la catégorie dédiée aux marques DS et Citroën : https://rangedesvoitures.com/category/auto/citroen-ds/

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