1970. Cette année là sur la Targa Florio, il fait beau et sec, quelques nuages se battent en duel au dessus des montagnes des Madonies. Il faut dire qu’en ce premier week-end de mai, il fait habituellement beau et bon sur l’île de Sicile.
La grande armada Porsche
Une nouvelle fois, l’équipe Porsche n’a pas fait le détour par Floriopoli pour rien. L’objectif est clair et on ne fait pas dans la dentelle. La série des quatre victoires acquises les quatre années précédentes doit être continuée, confirmée. Porsche présente ainsi en grande pompe sa nouvelle arme, la légère et agile 908/03, plus adaptée aux circuits sinueux comme la Targa ou le Nürburgring, que la grande et puissante 917.
Ce ne sont pas moins de quatre Porsche 908/03 que la firme allemande emporte dans ses bagages. A ce quatuor est ajouté une Porsche 909 et une Porsche 917K. Trois exemplaires de la 908/03 sont exploitées par John Wyer aux couleurs Gulf et aux livrées fléchées, tandis que l’équipe Porsche filiale autrichienne en exploite une aussi, la route et blanche. La 917K est aussi exploitée par Porsche Autriche et la 909 par Porsche Salzburg, deux noms pour une même structure.

Floriopolis, vendredi 1 mai 1970, essais et qualifications.
En ce vendredi 1er mai 1970, les Madonies vivent enfin les premiers tours de roues officiels de la Targa Florio. Si depuis quelques jours et semaines, le relief de l’arrière pays et les villages vivent déjà au rythme des essais officieux, c’est maintenant l’heure de voir s’affronter les Porsche 908/03, Ferrari 512 S et autres Alfa Romeo T33/3, face au chrono.
En ce vendredi, Vic Elford et Hans Hermann sont prêts. Ils enchaînent les tours au volant de la 908/03 engagée par Porsche Autriche, sous la croupe du grand patron de la compétition Porsche, Ferdinand Piëch.

Sur les programmes sportifs Porsche, la rivalité entre Piëch et Wyer est forte. Gulf a mis le paquet en sponsoring sur Wyer, qui veut voir gagner ses autos plutôt que les autos de Porsche. Souhaitant garder le leadership, Piëch joue de sa position de patron de la compétition et vient voir à Elford un peu plus tard dans la journée, lui demandant un service.
« Pouvez-vous me rendre service et faire un tour dans la 917 que nous avons amenée? Je veux prouver quelque chose à Wyer, » dit-il.
Le combat des chefs était lancé, la rivalité interne allait mettre en piste Elford et la 917K sur l’un des circuits les plus difficiles au monde.
Vic Elford, en tant que pilote officiel Porsche et ayant déjà participé trois fois à la Targa, l’ayant remportée en 1968 avec Porsche et l’Italien Umberto Maglioli, allait donc prendre le volant de la 917K sur les sinueuses routes siciliennes. Il faut dire que la 917K était le péché mignon de Piëch, celle qu’il avait créé pour amener à Porsche sa première victoire au Mans, au général.

En début d’après-midi, « Quick Vic » entame donc sa boucle de 72 kilomètres. Mais la voiture n’est pas adaptée, elle n’a pas été préparée pour les particularités du tracé sicilien. Les suspensions sont bien trop rigides sur l’Allemande et sur tout le tracé, l’auto ne cesse de rebondir et d’être mal amortie. Une véritable bagarre a lieu entre la 917K et Elford, qui se bat avec sa machine et ses 600 chevaux. L’auto glisse, les pneumatiques Goodyear font ce qu’ils peuvent. Tout au long du tracé long de 72 kilomètres, Elford tient l’Allemande sur la route, avec en tête son patron, qui lui a fait confiance et demandé ce service hors du commun.

Jusqu’au bout
A la fin de cette boucle d’essais, Elford rentre au stand, fort d’un cinquième temps, mais il est exténué. Il témoigne : J’ai signé le cinquième temps le plus rapide des essais, mais après ce seul tour, j’étais trop épuisé physiquement et mentalement pour sortir de la voiture, j’ai dû en être sorti. Je n’aurais jamais pu utiliser la 917 en course, mais ce fut une expérience incroyable…” Il faut dire que cette année là, la Targa se disputait plus près de 800 kilomètres et 11 tours de 72 kilomètres. Et Elford de compléter : “Bien que la route n’était large que de deux voies, je faisais probablement bien plus de 320 km/h sur le front de mer tout droit vers la fin du tour.“
En effet, la longue ligne droite finale entre Campofelice di Roccella et Floriopolis est alors un incroyable boulevard qui longe la mer, long de 7 kilomètres. Elle est nommée “ligne droite de Buonfornello”, nom du village qu’elle longe. On y imagine la vitesse prise par cette 917K prévue pour un circuit comme celui des 24 Heures du Mans. On imagine aussi l’état de Vic Elford pour devoir être évacué de sa voiture…

En 34’37.3″, c’est tout de même avec un cinquième temps général qualificatif que l’Anglais rentre au stand, classant ainsi sa 917K devant la 908/03 de Leo Kinnunen et Pedro Rodriguez, un duo qui selon la rumeur n’aurait pas été aidé par les chronométreurs siciliens…
Le Suisse Jo Siffert signe la qualification en 34’10.0″, soit 27 secondes de mieux que le chrono de Elford avec la 917K, plus lent de 0,3 seconde au kilomètre. Une différence très honorable vue la difficulté du terrain et une auto non adaptée.
Après cette difficile expérience, l’idée de faire rouler la 917K le dimanche de la course est abandonnée. L’auto se révèle trop difficile pour un tel parcours, d’autant qu’elle se montre plus lourde et plus gourmande que la 908/03, qui est elle plus adaptée à un parcours comme celui des Madonies, et quasi conçue pour.

La victoire pour Siffert, Redman et John Wyer
Dimanche, jour de course. Au volant de la 908/03, Elford sort de la route après 8 kilomètres, et abandonnera en bord de route… Les honneurs lui resteront, lui qui sera à jamais le seul pilote à avoir emmené la Porsche 917K sur la Targa Florio.
Après les 11 tours de course, cette Targa Florio millésime 1970 voit la victoire de Jo Siffert et Brian Redman, sur la Porsche 908/03 du John Wyer Automotive Engineering. Leo Kinnunen / Pedro Rodriguez (Porsche 908/03, JW Automotive Engineering) et le local Nino Vaccarella / Ignazio Giunti (Ferrari 512 S Ferrari, S.p.A. Sefac) complètent le podium.

Le tour le plus rapide en course revient pour Leo Kinnunen (FIN) au volant de la 908/03 numéro 40, en 33 minutes 36 secondes, à une vitesse moyenne de 128.571 km/h, lors du 11ème et dernier tour, soit 29 secondes plus vite que son coéquipier Jo Siffert (CH) lors des qualifications. On imagine le rythme en course…

Cette année là, Porsche domine les débats, tant sa force de frappe est forte, son équipe préparée. Victoire, deux autos sur le podium, meilleur temps en course, meilleur temps en qualification. La main mise est totale. L’année suivante sera beaucoup moins glorieuse, quand les trois 908/03 engagées allaient abandonner durant la course, laissant le triomphe au héros local Nino Vaccarella, sur Alfa Romeo T33/3 engagée par la maison Autodelta S.p.a.
En chiffres, la Florio vit cette année là 120 engagés, 90 présents aux essais, 87 qualifiés, 78 au départs, 43 à l’arrivée et 43 classés. Et la 917 châssis numéro 020 lors des essais…
917-020 : jolie fin de vie chez Martini
Suite à cette Targa Florio 1970, la Porsche 917K châssis n°20 vue aux mains d’Elford dispute 10 jours plus tard les 1000 Kilomètres de Spa. Elle y termine 6ème avec Richard Attwood (GB)/Hans Herrmann (D). Elle part ensuite pour les USA et le Porsche Audi Division. Avec l’équipe américaine, on la voit aux 6h de Watking Glen et le lendemain lors de la manche Can-Am du même circuit.
1971, elle prend la route du Martini Racing, géré par Hans Dieter Dechent. S’en suivra une belle victoire, lors des 12 heures de Sebring 1971, avec Vic Elford toujours, accompagné de Gérard Larrousse. Ce sera là sa dernière victoire internationale.

Quelques mois plus tard, Vic Elford revient à la Targa, avec le team Martini Racing et la 908/03. En cette Targa 1971, aucune des 908/03 ne verra l’arrivée.
917K : un échec en Sicile, le meilleur pour la suite
Suite à l’échec de faire la rouler la 917K en Sicile, Porsche se rattrapait une semaine après la Targa Florio, remportant les 1000 kilomètres de Spa puis un mois plus tard, quand elle montait sur la plus haute marche du podium des 24 Heures du Mans.
Si John Wyer remportait la Targa Florio 1970 avec Jo Siffert, Bryan Redman et la 908/03 Gulf, Ferdinand Piëch avait gagné son pari, celui de faire de Porsche un vainqueur des 24 heures du Mans. Mais cela est une toute autre histoire…
Remerciements
Je tenais à vous remercier d’avoir lu cet article jusqu’ici. Pour tout vous dire, j’ai commencé à écrire cet article il y a trois ans, après une visite à Floriopoli. C’est un article long dans sa lecture mais aussi long dans sa rédaction, ses recherches d’informations et d’illustrations. Je tenais à remercier les nombreux bouquins et sites qui m’ont servis à la rédaction de cet article, dont Racing Sports Cars. L’excellent livre “Porsche 917: Archiv 1968 – 1974” m’a aussi été très utile, une véritable bible de la 917. Il y a certainement une coquille ou deux dans cet article, vous m’en excuserez et n’hésitez pas à me prévenir de cela, je vérifierai cela. En bonus de fin, vous trouverez quelques rares photos ci-dessous.
Si cet article vous a plu, je vous conseille cet article, concernant les essais de la Targa 1970, vu de chez Porsche : Mars 1970, Porsche prépare la Targa Florio.
Encore merci et bonne journée chez vous,
Jean-Charles
PS : edit 23 juin 2022, un nouvel article est sorti concernant le châssis 020, chez Supercarnostalgia.






Ah la Targa Florio…. Pour nous un souvenir extraordinaire de reconnaissance de ce mythique circuit Sicilien.
Merci Jean-Charles
Trés intéressant belles photos originales et la « petite histoire » un régal pour les passionnés de cette course .
Merci à vous, cela me fait très plaisir!
Jean-Charles
très beau document que beaucoup de gens recherche